Dans Fenêtre sur cour d'Alfred Hitchcock le personnage principal assiste sans le voir au meurtre que commet son voisin sur sa femme.Dans Blow up de Michelangelo Antonioni, le personnage principal assiste à une scène de crime qu'il ne voit pas mais qu'il capte involontairement au travers de photos qu'il a prises.
Je situe mon travail photographique entre ces deux propositions.
J'utilise mon appareil photo comme une caméra pour fabriquer des images qui font passer la réalité pour de la fiction ou pour mettre en scène des fictions que l'on percevra comme la réalité. Mes photographies ont un rapport étroit avec le cinéma et la mythologie qu'il produit.
Le paysage filmé en CinémaScope du western devient alors le panoramique d'une piste d'atterrissage. Une photographie peut aussi être le résultat d'une superposition de dizaines d'images du même point de vue, qui superposée  me permet d'enlever tous les éléments en mouvement. J'obtiens alors une sorte de film à une seule image qui présente une vue impossible à contempler dans la réalité.
Nourri d'images qui ont façonné mon rapport au réel, je tente au travers de mes photographies de questionner le lien qui nous unit à la fiction, d'induire en erreur notre certitude de perception, de renvoyer le spectateur à ces deux affirmations : je l'ai vu au cinéma ; on se croirait dans un film.

Olivier Grasser, exposition :
Affinités, déchirures & attractions
FRAC Alsace

TF1 JT
la nuit des musées
Installation : le soleil brille

France 3 reportage sur l'exposition
fausse fiction
Gallerie Radial Art Contemporain

Simuler le réel
Quelques réflexions sur les photographies de Bertrand Gondouin

Héloïse Conésa,
Historienne de l’art, conservatrice du patrimoine et commissaire d’expositions
Bibliothèque nationale de France

S’il est admis aujourd’hui que la photographie est moins la reproduction du réel tel qu’il est que la matérialisation d’une vision de la réalité à un moment donné par un photographe, il convient de souligner que pour mettre en oeuvre ce qui constituera le prisme de ses réalités, le photographe va adopter différentes démarches à même de bouleverser la perception du spectateur. Dans les photographies de Bertrand Gondouin, on note divers procédés susceptibles de définir deux régimes de réalité fictionnalisée : celui qui invite le spectateur à douter de la réalité d’une scène ou d’un lieu alors même que ceux-ci sont véridiques et sa réciproque, qui conduit le spectateur à prendre pour la réalité ce qui relève, en fait, d’une manipulation complète par le photographe. L’artiste recherche au sein du monde contemporain des signes, un vocabulaire permettant un basculement vers la fiction. Et au spectateur de s’interroger face à Hollywood (2011) : l’artiste a-t-il assemblé numériquement ces édifices à l’architecture disparate ? Comment se fait-il qu’aucun être humain ne soit présent sur cette place publique ? La réponse est dans le titre qui invite à suivre la piste d’un décor de cinéma. Un sentiment d’ « inquiétante étrangeté » sourd à la vue des bureaux vides et désordonnés de la série Open Space (2012): quelle scène s’y est jouée ? Le fouillis ambiant est-il le fruit là encore d’une manipulation ? Il n’en est rien mais le trouble persiste. Dans la série Théâtre, c’est le rideau au centre de l’image qui devient le support d’une réflexion sur le dévoilement des illusions. Bertrand Gondouin utilise aussi les codes de la photographie documentaire pour mieux les subvertir : pures constructions issues de manipulation par ordinateur, les Fiction 1, 2 et 3, n’ont que l’apparence du réel.

Il en est de même dans les Prises de vue –reconstitution de parking désert après assemblage des photographies de places vides - où le photographe manie l’ambigüité perceptive propre à toute photographie. Par la mise en scène, l’image est destituée du lien supposé fiable à la vérité qui caractériserait le document : il est impossible de vérifier quel élément est représenté conformément à la réalité ou quel autre a été modifié, ajouté, éliminé suite à un choix du photographe. Enfin, autre procédé prisé par l’artiste : l’usage de références au monde du cinéma, transférant à la photographie une charge cinématographique. C’est le cas dans la série Mulholland drive, où transformant les images d’un motel alsacien, en citation lynchienne, il parvient à instaurer une connivence avec le spectateur et un nouvel équilibre entre l’image et les représentations culturelles qui l’accompagne. Grâce à cette dialectique entre la réalité et la fiction, Bertrand Gondouin cherche à déterminer un entre-deux, un no man’s land entre le doute et l’invention que semblent incarner les images de la série Après : l’action a déjà été jouée, le temps y est comme suspendu. Ces photographies d’espaces vides, en marge, recoupent également la prédilection du photographe pour des lieux de transit, de passage d’où l’être humain est absent. Elles distillent une certaine mélancolie évoquant celle des toiles d’Edward Hopper et touchent à «ce jeu d’opérations qui produit ce que nous appelons de l’art, soit précisément une altération de la ressemblance » comme l’écrit Jacques Rancière dans Le Destin des images.